Agriculture : aide à l'investissement
Les faits
Le 10 juin 2018, M.W. reçoit une notification de récupération dans le cadre d’une aide à l’investissement, au motif qu’en 2013 (année de suivi) et en 2014, les revenus (R/UT) étaient inférieurs aux 15.000€ , seuil fixé par arrêté. L’Administration ajoute qu’après analyse du suivi de plan, il apparaissait que les charges avaient été sous-estimées lors de l’introduction de la demande. Ceci avait faussé le niveau de rentabilité attendu de l’exploitation.
M.W. introduit un recours aussitôt et est entendu en audition en octobre 2018. Il explique son analyse de la situation :
- En 2010, il a acheté un robot de traite et pour rentabiliser au plus vite cet important investissement, il a acheté des vaches. A la suite de l’arrivée de ce nouveau troupeau, plusieurs événements inattendus se sont produits : important problème d’intégration des nouvelles bêtes, suivi d’une perte de vitalité, d’immunité et de performances laitières, mammites. Il perd des bêtes et doit même jeter d’imposantes quantités de lait. En outre, des pertes d’électricité dans les étables ont été détectées, et le robot n’a été vraiment au point que bien tard, ce qui justifie une production de lait insuffisante cette année-là (en 2013, 460.000 litres de lait ont été produits alors qu'à la base les estimations étaient de 600.000 litres, soit un manque à gagner de 55.720,15 euros).
Par contre, les coûts des techniciens experts à qui il a fait appel ont été très élevés.
M.W. relève aussi que plusieurs points qualitatifs de son suivi de plan n’ont pas été relevés dans le bilan de l’Administration : une fois les soucis réglés et grâce à différents autres investissements complémentaires du plan réalisés (hangar et silo, tracteur, balleuse, presse,…), M.W. a pu rationnaliser son temps.
- Il a fait des travaux pour d’autres agriculteurs, restauré des bâtiments lui-même, amélioré les récoltes, sa sécurité et son autonomie pour la production fourragère. Toutes ces améliorations participent à l’accroissement de la rentabilité. Au total, si tout avait été pris en compte, le revenu serait, selon lui, bien au-delà du seuil de 15.000€. Le Ministre et l’Administration ont finalement conclu sur le recours, que la baisse de production suivait la sous-estimation des charges financières et des risques qui peuvent survenir. Qu'en outre, des frais importants sont déplorés dans l'exploitation du demandeur et sont anormalement élevés en 2013 et en 2014 au regard d'autres exploitations. Dès lors, comme l'Administration a constaté une mauvaise gestion des charges et coûts générés au sein de celle-ci, le bénéficiaire est tenu au remboursement des aides.
L'intervention du Médiateur
M. W., très abattu par cette décision, appelle le Médiateur. Il soutient au contraire que ce sont principalement les productions qui ont été sous-estimées et non les charges comme l'évoque l'Administration. En effet, les estimations du chiffre d’affaires lié à la production laitière étaient de 125.000 € alors qu'en 2013, la production laitière réelle a rapporté 184.585.94 €. Il confie au Médiateur son total désarroi : son fils s'est engagé dans un baccalauréat en agronomie en vue de reprendre I'exploitation à terme. Le remboursement des aides mettrait en péril ce projet de reprise .
Sur base d’une instruction approfondie du dossier, le Médiateur a observé ici que Monsieur W. produit actuellement nettement plus de lait avec moins de vaches, ce qui tend à démontrer que le plan d'investissement était viable s'il n'avait pas rencontré tant de problèmes qui ne peuvent se résoudre au rythme des procédures administratives.
La diversification de ses activités, l’amélioration de la vie de la famille, des animaux, et sa production fourragère, même tardives, ont montré, in fine, que la situation économique de cette ferme est aujourd’hui satisfaisante grâce aux investissements consentis.
Le Médiateur réinterpelle l’Administration et présente son analyse du dossier de M. W. :
• l‘objectif (1. Art 5, 1.2° du Règlement (UE) 1305/2013 du Parlement et du Conseil : - améliorer les résultats économiques de toutes les exploitations agricoles et faciliter la restructuration et la modernisation des exploitations agricoles, notamment en vue d'accroître la participation au marché et l'orientation vers le marché ainsi que la diversification agricole) poursuivi de ces aides est de participer concrètement au développement rural, au bien-être des agriculteurs et des animaux, à une production de meilleure qualité et à la sauvegarde du mode de production traditionnel. C’est exactement le résultat ici concrètement obtenu, avec maladresse parfois, en retard certes, mais aujourd’hui pérenne.
• L’Administration fait valoir que les charges ont été excessives au regard de la moyenne des charges des exploitations. Mais ces exploitations n’ont pas la même histoire, les mêmes contingences techniques, les mêmes mésaventures. La firme de maintenance du robot de traite atteste elle-même de l’accumulation de faits inhabituels et accidentels qui ont malheureusement impacté les coûts de fonctionnement.
• Quel élément décisif établit-il que M. W. a sciemment sous- estimé les charges dans son plan? M. W. a peut-être été imprudent en ne maîtrisant pas complètement ses dépenses ces deux années-là, mais aujourd’hui, il montre qu’il a réussi à rectifier le tir et que son plan est cohérent avec les objectifs fixés.
Dès lors, conclut le Médiateur,
• Ne peut-on admettre ici la circonstance exceptionnelle ?
• Et par ailleurs, si la circonstance exceptionnelle n’est pas admise, pourquoi le recouvrement ne se calcule-t-il pas à concurrence de la partie imputée, c’est-à-dire sur le seul robot de traite ? En effet, le recouvrement fixé à 84.689€ porte sur la globalité des investissements alors que l’augmentation anormale des charges est consécutive aux coûts d’installation et d’adaptation du robot de traite, investissement principal.
L’issue de la médiation
En réponse, l’Administration rappelle que lors de l’introduction de la demande, c’est M. W qui a, sur base de son projet, fixé les objectifs à atteindre, et estimé les charges et productions …
L’octroi de l’aide était conditionné à ceci. Elle ajoute qu’elle a vérifié la viabilité de l’exploitation sur base des chiffres de 2014, mais que les indicateurs ne s’amélioraient pas entre 2013 et 2014. En outre, précise l’Administration, l’exploitant était aidé par un consultant, qui aurait pu attirer son attention sur les risques du non-respect de l’engagement qu’il prenait au moment d’introduire la demande.
En ce qui concerne le remboursement, ajoute-t-elle, contrairement à la nouvelle législation ADISA, une aide ISA pouvait comporter plusieurs investissements. Lors de la demande d’aide ISA, les objectifs engageaient donc la totalité du plan. Dès lors, la récupération de toutes les aides de M.W. est conforme aux articles 59 et 65 de l’arrêté du 19 décembre 2008, puisque les objectifs fixés du plan dans sa globalité, ne sont pas rencontrés.
Le Médiateur constate que la question de la prise en compte de la globalité des investissements a été tranchée sur base d’une conception générale de l’aide ISA, mais que l’impact direct du seul robot de traite sur les charges n’a pas été reconnu, tout comme la particularité des circonstances exceptionnelles vécues par M. W.
Photo d'illustration
Attention : chaque cas évoqué ne peut pas nécessairement être généralisé à d’autres situations. En effet, quand il traite une réclamation, le Médiateur examine la situation concrète et prend en compte les arguments invoqués et les pièces probantes apportées.